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échos

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De février 2006 à l’été 2010, l’écrivain Laurent Herrou a alimenté au quotidien un blog intitulé « L’emploi du temps » aux côtés du photographe Jeanpierre Paringaux, qui était alors son compagnon. Le blog a été remarqué à diverses occasions, certaines de ses entrées donnant lieu à des publications, notamment dans la revue belge Pylône, sur le site original de François Bon, Publie.net (« L’emploi du temps à New York »), ou à des expositions (« Les objets de l’intime » au Garage 103, à Nice, en mars 2007, à lire sur le blog). Le point final de cette collaboration a été formellement matérialisé le 15 août 2010 (« la mise au point », à lire sur le blog) lorsque le couple s’est séparé.

Plus de dix ans après, « L’emploi du temps » entame une deuxième saison : la photographe Emmanuelle Corne et l’écrivain produiront ensemble une « série augmentée » pour ainsi dire, où source (l’écrit) et écho (l’image) converseront — au propre comme au figuré, le point de départ de cette construction bicéphale résidant en effet dans les entretiens que les artistes mèneront à partir du journal de l’écrivain et d’une interrogation de la photographe. « Tout ce qui se relève et qui s’élève de la personne unique c’est-à-dire : ce qui fait sens ou défaut de sens pour le collectif dans le journal m’intéresse », explique Emmanuelle Corne. « Ma proposition sera donc de faire écho, miroir, résonance, lueur, etc. à un mot choisi à chaque lecture en cherchant dans le vivier sociétal et évocateur. »

On pourra suivre le résultat de cette nouvelle association, ici, sur le site de Public Averti, collectif d’artistes, créé par Laurent Herrou et Pauline Sauveur (architecte, autrice et photographe), qui avait accueilli précédemment Emmanuelle Corne, lors de la première édition de « Une exposition », à l’automne 2018. « Échos » (à la fois hommage au temps passé et écoute du temps présent) s’attachera, sur un rythme mensuel, à offrir à ses lecteurs et lectrices, spectateurs et spectatrices, auditeurs et auditrices, un dispositif artistique inédit, allant de l’intime au sociétal.

1 . creep . 01 . 2022

« Chaque mois tu m’adresseras une sélection d’extraits de ton journal : je me fonderai sur cet envoi pour construire mon dispositif photographique, qui ne sera ni une simple réponse, ni une illustration. Sur « Janvier 2022 » par exemple, j’ai repéré deux thèmes ou mots-clés qui m’interpellaient : « Creep » évidemment — j’adore Radiohead et je voudrais un jour moi aussi chanter cette chanson-là. Et le compliqué passage du « tu » au « je ». À partir de là, je suis partie à la chasse de mon image : pour y aboutir, je voudrais à chaque fois pouvoir discuter le mot que je choisis avec toi pour le comprendre, l’entendre très intimement pour toi, et savoir ensuite comment je veux l’habiller en image pour qu’il parle aux autres. »

(E.C., 01.22)

2 . décalage . 02 . 2022

« Il me semble important d’être à la fois dans un journal qui aborde l’intime et des questions personnelles, parfois très égocentriques, et au cœur d’une conversation qui va appeler quasiment en dernière entrée — logiquement, par rapport à l’Histoire — l’invasion de l’Ukraine par Poutine, et que tu mets, toi, immédiatement en lumière sans ressentir le besoin de légender la photographie, sinon par ce mot que tu as choisi et qui donne son titre au mois de février. » 

(L.H., 02.22)

3. avaler . 03 . 2022

« Mon idée comme dispositif cette fois, ce serait que l’on interagisse par message interposés sur une plateforme que l’on choisirait au départ : je lis le journal, et de temps en temps je te pose une question par écrit, et tu y réponds, par écrit — et l’on pourrait ainsi en faire quelques captures d’écran pour Échos numéro 3 — afin de trouver le mot qui définirait le mois, et que je puisse faire la photographie. »

(E.C., 04.22)

4. transition . 04 . 2022

« Chère Emmanuelle, cher Laurent,
Je suis très heureuse que le site du collectif accueille votre travail en cours et au long cours, parce que c’est exactement la vocation de Public Averti d’être un espace possible, et propice pour cela. » 

(P.S., 05.22)

5. cœur . 05 . 2022

« J’ai lu l’envoi de Laurent avec la sélection des entrées au journal de mai. Je l’ai lu dans un train à grande vitesse. Sans hésitation un mot m’est venu : « coeur ». Je lisais Laurent et il avait retrouvé son cœur, un cœur, le cœur. L’élan, la confiance, l’autre et lui.
Nous nous sommes appelé, la conversation est consignée. Le mot lui a plu et lui a convenu. Nous étions d’accord pour enregistrer un changement notable vers une certaine sérénité. Voire une certaine joie. »

(E.C., 06.22)

6. tableau . 06 . 2022

« When you’ve been in the darkness long enough, you begin to see. »
(Lorsque l’on est resté suffisamment longtemps dans les ténèbres, on commence à voir.)

Dolores Abernathy,
Westworld (2.7, « Les Écorchés »)

7. cycle . 07 . 2022

« Lors d’une discussion que nous avons eue, Pauline et moi, autour de Public Averti et de ses projets, et tandis que nous évoquions Échos, et son principe initial (moi au journal, toi à la photo), quelqu’un (Catherine Danou, pour ne pas la citer) a demandé si le processus était interchangeable. J’ai alors pensé à cette conversation entre nous, et du fait que nous parlions c’est vrai, avec des mots, toi et moi mais parfois, que nous le faisions aussi avec des images. »

(L.H. à E.C., 08/22)

8. naufrage . 08 . 2022

« Août. Impatiences. Leitmotivs. Dégoût. Symptômes. Espoirs. Diagnostic. Patience.
Mensonges… Non. Masques.
Désarroi. »

(E.C., 22/09)

9. griffe . 09 . 2022

« Pour reproduire une forme, on fabrique un moule.
Pour injecter une matière plastique qui fera une forme, une pièce, il faut un moule en acier.
En usinant le moule qui reproduira la pièce, on fabrique des copeaux.
Chaque pièce produite porte la griffe de l’intermédiaire.
Pour le moule, la griffe c’est le savoir-faire du mouliste. »

(E.C., 29/10)

10. réparation . 10 . 2022

« Tu vas mieux : l’automne te ressuscite.
Emmanuelle sera contente. » 

(L.H., 04/10)


11. domesticité . 11. 12 . 2022

« Tu relances le feu dans le poêle, qui s’est éteint pendant la nuit : il fait quatorze degrés dans la maison, huit dehors.
Tu n’as pas froid, tu n’es pas frileux. Tu n’as pas encore glissé sous la douche, ce sera après ces quelques mots, qui n’ont pas d’intérêt.  Le journal est un mélange de sentiments contradictoires : parfois il semble que cela dit quelque chose, mais à d’autres moments, l’impression est inverse. Le journal ne sert à rien, sinon à répéter à l’envi les mêmes réflexes, les mêmes erreurs.
Tu l’as accepté en endossant cette discipline.
Demain, vous serez dans la voiture : la distance, les kilomètres, te permettront de considérer ton téléphone autrement, une base-retour vers les messages que tu attends au quotidien à domicile. Souvent, c’est sur la route que te parviennent les nouvelles : lorsque tu les attends, cela ne sonne jamais. Quand tu es occupé par ailleurs, c’est là que cela arrive.
Le feu s’étouffe : tu le motives à ta façon.
Tu voudrais y mettre une majuscule, pour appeler les mots de l’éditeur providentiel, et le travail qui t’attend sur ton prochain livre. »

(L.H., 27/12)

12. épilogue . 01 . 2023

« En janvier, il y a tout juste un an, Emmanuelle Corne me proposait que l’on travaille ensemble. Que l’on marie nos visions, que l’on essaye ensemble, de fabriquer quelque chose. Nous ne savions pas de prime abord ce que nous allions faire, nous en avions envie, simplement : parce que j’aime l’œil très sélectif d’Emmanuelle, et parce qu’elle apprécie ma manière d’écrire. Et parce qu’il était possible qu’en associant les deux, nous nous retrouvions en présence d’une nouvelle matière que nous n’aurions pas envisagée de prime abord. » 

(L.H., 24/01)

Crédit photo : Tony Nuon (2018)

Emmanuelle Corne
« De formation initiale en anthropologie, j’ai été 20 ans libraire et directrice d’une maison d’édition en sciences humaines et sociales. Il y a 6 ans maintenant, j’ai choisi de me rapprocher des gens, de nos sociétés et de ses interactions avec nos environnements. La photographie est apparue comme le moyen de raconter des histoires.

J’ai choisi une formation en photojournalisme pour enclencher un regard photographique, apprendre à définir un angle et organiser une narration. Le thème de l’année (refuge) a suscité des sujets autour des femmes : militantes, engagées, résistantes, résilientes, actives, radicales, solidaires. J’en ai développé d’autres liés à la lutte contre les exclusions sociales, aux « invisibles », à celles qui cumulent les discriminations.

Participer aux projets du collectif Public Averti m’encourage à sortir de mes formats et à explorer des voies plus artistiques et des dispositifs sensibles. Je m’en trouve dynamisée.
Par ailleurs, je m’intéresse au son et au format du diaporama-sonore.
Je travaille avec un 35 mm et en couleur. »
(E.C., février 2022.)

Laurent Herrou
Né à Quimper en 1967, Laurent Herrou a été révélé en 2000 dans la collection Le Rayon, dirigée par Guillaume Dustan aux éditions Balland, avec un premier livre intitulé Laura.

Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, reconnu dans le domaine de l’autofiction, son travail interroge tout autant le quotidien que le geste d’écrire lui-même, ses rites, sa nécessité, son impératif.

Il vit aujourd’hui sur l’île d’Oléron, avec son époux.