une e*position . 2018
une e*position . 2018

une e*position . 2018

Il m’a toujours semblé évident qu’être artiste impliquait que l’on s’intéresse à l’art. Et que s’intéresser à l’art voulait dire : s’intéresser aux artistes. C’est un peu comme les écrivains : avoir lu Dostoïevski, Duras, Sartre et Racine, c’est bien. Mais lire maintenant, ce qui s’écrit maintenant, c’est à mon sens ce qui définit : un écrivain. Ou devrait définir en tout cas une certaine exigence envers son propre art.

J’ai plutôt eu de la chance dans mes rencontres artistiques — à quelques exceptions près, je ne les citerai pas : les exceptions se reconnaissent entre elles. Notamment : dans le milieu plastique de l’art. J’ai traversé la Villa Arson (Nice) pendant quelques années, non pas pour mes études, mais pour offrir mon anatomie aux cours de dessin obligatoires en première et deuxième années. J’y ai noué de belles amitiés, qui demeurent encore aujourd’hui véritables. Et peut-être parce que j’ai une propension à m’intéresser à l’autre, j’ai au cours de mes vies successives, continué de rencontrer l’art, et les artistes, sous toutes ses formes, dans tous les milieux, et d’en garder un goût immodéré pour la création.

Une e*position, ce désir de partager pendant six semaines le regard de six photographes sur internet, est née d’une frustration : j’avais annoncé qu’il n’y aurait pas d’Automne Quatre (un cycle d’exposition que nous avions créé, Pauline Sauveur et moi-même, au Château de Villequiers en 2015, et qui avait perdu son sens lorsqu’il avait fallu quitter le château — même si l’association avec Conspiration avait permis de rendre un bel hommage aux éditions antérieures en nous offrant un Automne Trois virtuel sur son site pluridisciplinaire) pour des raisons personnelles et logistiques — manque de temps, de moyens, manque peut-être aussi, au moment de l’annonce, de cette volonté de rassembler qui m’avait toujours tenu — et j’avais le sentiment que la fin de cette année 2018 manquerait de fait de cette saveur particulière, ce petit frisson d’excitation qui accompagne la naissance d’un événement.

Discutant avec Pauline de la perspective de « faire » quand même quelque chose, cette idée de ne présenter qu’une seule photographie de six artistes que nous choisirions parmi les nombreux photographes que nous avons autour de nous nous a semblé à l’un et à l’autre une évidence : parce qu’Internet n’est pas une galerie, que nous ne sommes pas nous-mêmes des professionnels de l’événementiel (mais une association d’amis et d’artistes avec un astérisque pour vous avertir de notre « e*istence »), nous avons souhaité que cette nouvelle initiative ait une spécificité liée à son médium. Il est facile de cliquer sur le nom d’un artiste dans Google et d’un seul coup d’œil, sous l’onglet « Images », d’en voir apparaître l’étendue du travail — en plus ou moins bonne qualité. De la même façon, les sites personnels des artistes font ce travail-là, déjà, de mettre en ligne une exigence, un regard, une précision, une ou des collections. Demander à ces six artistes de faire un choix parmi leur production, voire de créer une image spécialement pour notre initiative (certains l’ont fait), c’était retourner d’une certaine façon Internet contre lui-même. Un peu à la manière de cette blague que l’on se disait plus jeune, s’imaginant partir vivre sur une île : qu’emporterait-on ? Ici, l’image devait à la fois définir l’artiste et définir son art, pas dans son ensemble bien évidemment, mais peut-être à l’instant t où nous poserions la question — de la même façon que nous avions demandé l’année précédente aux six artistes de l’Automne Trois de réaliser une vidéo en répondant à la question : « Que restera-t-il de votre art après vous ? » Et quelle surprise de réaliser que quasiment l’unanimité des réponses avait détourné la question en : «Que restera-t-il de moi après moi ?»

Vincent Descotils a été le premier à me poser la question de la ligne éditoriale et du lien entre les œuvres : il ne comprenait pas bien l’entreprise, il ne comprenait pas ce que ces artistes pris au hasard avaient ou auraient à voir les uns avec les autres. Il interrogeait l’initiative — c’est son droit — et il aura fallu quelques mots, et pas davantage, pour le convaincre de participer aux côtés des autres invités de cette première édition : le lien viendrait de la série, d’une façon ou d’une autre.

Nous n’avons pas voulu nous immiscer dans le travail des artistes que nous avions choisis. Nous n’avons pas voulu leur donner plus de directions que cette phrase de départ, cette « photographie unique qui les définirait ». Parce que nous avions confiance, par le choix que nous avions fait, que ces six regards raconteraient une histoire. Descotils, Pastierik, Gossart épouse Atlan (précision importante puisque le mariage de Laëtitia est intervenu au cœur-même de l’exposition, comme la providentielle cerise sur le gâteau des mariés), Corne, Mill et Picard. Trois hommes, trois femmes. Trois photographies en couleur, trois en noir et blanc. Deux diptyques — et pourquoi pas, après tout : qu’est-ce d’autre qu’une photographie que l’intention que l’on y met ? Des textes aussi : Clara Mill et Thibault Pastierik sont écrivains, également, avec à ce jour de beaux succès. L’énumération pourrait se poursuivre, des différences et des comparaisons qui se sont révélées au cours de ces six dernières semaines.

On pourrait aussi décortiquer le travail, photographie après photographie : tendre la main à une fillette au regard baissé quand une bulle de savon s’envole au Mexique ; traverser le cadre d’un regard direct au mépris des barbelés que la société, le monde ou nous-mêmes nous mettons en travers de nos routes ; tirer un coup de fusil dans un ciel clair ou abattre des cloisons, et constater les dégâts. On pourrait avoir le vertige, d’un sens à l’autre, en explorant l’intérieur des murs — qui n’est autre, finalement, que miroir de l’intérieur de soi. On pourrait, miroir toujours, se demander si l’autoportrait dit celui qui se photographie ou bien celui qui le regarde. Chercher la ligne d’un diptyque à l’autre : pourquoi la séparation quand on dénonce soi-même un clivage, un empêchement, un abandon ? On pourrait espérer surtout, que d’une image à l’autre, un dialogue soit né qui aurait relié, par-delà les kilomètres, les expériences ou la technique, six regards qui ne se connaissaient pas, se sont découverts, se sont compris… ?

Nous avons eu beaucoup de chance : six photographes, hommes et femmes, six images disant une vision du monde, une vision de soi, et des milliers de vues sur les pages qui relayaient ces travaux. Nous avons voulu rassembler ces six photographies qui ont constitué la première édition de Une e*position ici, sur cette page, comme une trace — mot important — d’une initiative, d’une expérience, d’un engagement. Pour que cette trace fasse référence, qu’elle pose quelque chose, qu’elle montre s’il était encore besoin de le prouver : la générosité des artistes.

Nous remercions une fois encore, dans l’ordre des semaines d’exposition : Vincent Descotils, Thibault Pastierik, Laëtitia Atlan, Emmanuelle Corne, Clara Mill et Michel Picard.

Nous vous souhaitons beaucoup de plaisir et de réflexion face à ces photographies.

Une e*position . 2018

Le chemin vers la première édition d‘Une e*position.

Le chemin vers la deuxième édition d‘Une e**position.

La présentation de la troisième édition d’Une 3xposition